Deux séparations. Deux femmes perdues au milieu du désert. Un peintre hippie. Une tatoueuse « muette ». Un serveur indien. Une famille.
Nous sommes au Bagdad Café, motel morne et perdu du Nevada. Le temps s’y est arrêté, mais plus personne ne s’y arrête. Sauf Jasmine (Marianne Sägebrecht) une touriste allemande qui a tout perdu excepté sa bonté. Pour lui donner la réplique, Brenda (Monica Calhoun) une femme désertée, miroir d’une Amérique désabusée aux remparts élevés par les affres d’une existence façonnée par les aspérités.
Elles vont s’entrechoquer, se détester, s’aimer, se soigner. Aux frontières des clichés que Percy Adlon s’amuse à déstructurer, se joue un sublime portrait de femmes qui trouve un écho renouvelé dans notre contemporanéité où Hollywood peine à en faire de même.
Pourtant le film date de 1988, une époque sous testostérone au rythme du mythe américain. De cette fracture fantasmagorique naîtra le succès de ce récit intemporel, récompensé à juste titre par un César du meilleur film étranger. Un sleeper allemand à l’allure lente, aux enjeux simples et authentiques. Une galerie de personnages hétérogène, délicate et généreuse soulignée par la nonchalance d’une réalisation – tantôt chargée (abusant volontiers des filtres) tantôt discrète – composant aux racines du cinéma dans des champs / contre-champs intimistes.
Badgad Café porte bien son nom : c’est une dégustation troublante aux arômes burlesques, un cocon pour le spectateur, une chrysalide qui évolue pianissimo au rythme de la musique de Bob Telson et de son fameux « Calling You » interprété par la chanteuse Jevetta Steele.
Une route au milieu de nulle part qui abrite des âmes défectueuses dont on hume l’humanisme avec délectation.
Le bleu du miroir