« Je sens que je dois me réveiller. Mais de quoi ? » lâche la mère fatiguée à son fils unique, Joe, 14 ans. Ce dernier assiste, impuissant, à la lente désagrégation de la cellule familiale, un petit paradis dont il était jusque-là le centre. Entre ses parents, Jeanette (Carey Mulligan) et Jerry (Jake Gyllenhaal), ça ne va plus très fort. Le père, prof de golf, a été viré. Il peine à retrouver du travail, s’enfonce dans la déprime et décide soudain de partir plusieurs mois accomplir une mission dangereuse. En échange d’un salaire de misère, il rejoint une cohorte d’apprentis pompiers qu’on recrute dans la région, pour éteindre les incendies ravageurs, en cet été 1960.
C’est le premier film de Paul Dano, un acteur singulier aux performances souvent marquantes (dans Prisoners, de Denis Villeneuve, notamment). Il avait le désir de passer derrière la caméra depuis longtemps pour retranscrire une part douloureuse de son expérience vécue. Un livre l’a aidé. Son film est l’adaptation d’Une saison ardente, de Richard Ford, grand écrivain de la résignation et de la survie ordinaires, dont l’esprit imprègne ce film sensible, posé, où chaque personnage se débat dans un marasme. Confusion intérieure, chagrin, solitude, frustration, tous ces grands maux sont décrits par petites touches ou par aplats. L’influence de la peinture est sensible, et d’abord celle des toiles figuratives d’Edward Hopper, peintre du spleen lumineux, cité de manière pertinente et fluide. De la station-service enneigée à cette femme pensive à sa fenêtre en passant par la petite ville tranquille sous le ciel immense, Paul Dano décrit un monde où la beauté renvoie à un vide ouaté.
A une anxiété, aussi. Car le point de vue reste constamment celui de Joe, le fils (Ed Oxenbould, jeune acteur attachant, dégageant une intelligence discrète, découvert dans le récent thriller The Visit, de M. Night Shyamalan), adolescent éveillé, un peu renfermé peut-être, qui semble souvent plus mûr que ses parents. C’est un fils fragilisé, exposé à un danger qui vient de ses propres parents. Ils l’aiment mais règlent leurs comptes devant lui, le mettent trop facilement dans la confidence. Cette impudeur qui ne dit pas son nom est sans doute ce qu’il y a de plus sagace dans ce tableau d’une crise familiale au bord du drame. Où le lien — surtout sportif — avec le père s’étiole, où les frasques de la mère blessent le fils, et où la menace des incendies dans cette région majestueuse du Montana (filmée aussi, il y a peu, par Kelly Reichardt, dans Certaines femmes) se rapproche. La mise en scène de Paul Dano est soignée, rigoureuse, un peu scolaire, parfois. N’empêche : Wildlife exerce une forme d’emprise fascinante, suspension entre calme et tumulte, avec, finalement, la perspective d’un pardon.
Télérama