Touda rêve de devenir une Cheikha, une artiste traditionnelle marocaine, qui chante sans pudeur ni censure des textes de résistance, d’amour et d'émancipation, transmis depuis des générations. Se produisant tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard des hommes, Touda nourrit l’espoir d'un avenir meilleur pour elle et son fils. Maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca...
Everybody Loves Touda est avant tout un portrait de femme, combative et fière, pour laquelle les enjeux sont à la fois culturels, d'intégrité physique et de dignité. Nisrin Erradi, découverte dans Adam de Maryam Touzani incarne avec aplomb et fougue cette femme bafouée (la conclusion de la scène de danse introductive, dans un champ à l'avant d'une voiture, pose de d'emblée sa condition), qui va tenter de devenir une chanteuse libérée, d'employeurs qui l'exploitent, comme de clients concupiscents. Car sa liberté affichée, les cheveux libres et le corps décomplexé lorsqu'elle danse, la fierté et la joie dans le regard lorsqu'elle chante, ne renvoient pour la plupart des hommes (à l'exception d'un vieux musicien attachant) que l'image d'une femme facile, que ceux-ci peuvent utiliser, acheter, abîmer...
Ne cachant rien des humiliations régulières qu'elle doit endurer, Nabil Ayouch construit son film comme une double spirale inversée : celle d'un monde de fête se refermant sur cette chanteuse ambitieuse avec une noirceur grandissante au fil des marches franchies, et celle, opposée, d'une femme en partie résignée qui se libère progressivement grâce à sa ferveur et son art. Ce double flux finit par provoquer, après la torpeur de l'introduction, une réelle émotion, qui a su séduire autant les spectateurs cannois, où le film était présenté à Cannes Première, que ceux du Festival d'Angoulême, avant que le jury du Festival 2Valencienne ne lui décerne son Grand Prix, doublé du prix d'interprétation féminine. Un portrait troublant et lumineux d'une femme marocaine libre et digne.
D'après Abus de Ciné