Julien enseigne la littérature avec une passion qu’il espère transmette. Mais l’étude d’un poème amoureux, un exemple maladroitement choisi pour illustrer la flatterie galante, un regard mal interprété, et tout s’écroule. Une de ses élèves porte plainte contre lui pour harcèlement. Le frère de cette dernière, petite brute jouant la carte d’un patriarcat abusif à grands coups de menaces répétées contre l’enseignant et sa soeur, veut répondre à la prétendue offense par la violence. Etrangement, l’incriminé refuse de révéler son homosexualité, qui pourtant pourrait (peut-être) l’exonérer. Quant au corps enseignant, il se divise et change progressivement de camp pour finir par laisser tomber ce collègue encombrant.

Pas de vagues pourrait être un réquisitoire contre l’inertie de l’Education nationale, qui abandonne à des sorts parfois tragiques des professeurs ayant juste fait leur boulot. Il pourrait aussi être le portrait réducteur de banlieues périphériques où s’exacerbent les replis identitaires.
Le troisième long-métrage de Teddy Lussi- Modeste est bien plus subtil et intelligent que cela. Raconté de l’intérieur, puisque le point de départ de cette histoire est en partie autobiographique, il évite tout jugement sommaire. Et s’attache à mesurer les différents stades d’étranglement dont les protagonistes sont victimes. Celui de Julien dissimulant son orientation sexuelle face à un milieu social qui pourrait ne pas être ouvert à cette révélation. Celui de cette adolescente perdue et confuse, déjà victime désignée de la discrimination et du regard oblique de ses camarades. Celui de son frère, danger imminent et grandissant mais que la caméra refuse de stigmatiser. Autre idée pertinente ? Montrer les répercussions de ce drame latent dans la vie intime de son héros, mais aussi la manière dont l’anxiété de Julien rejaillit sur le couple qu’il forme avec Walid et l’incompréhension désarmée de ce dernier.

Les personnages possèdent tous une face cachée, ce qui évite au récit de tomber dans la schématisation et lui confère une complexité supplémentaire – complexité sur laquelle se greffe avec intelligence une mise en scène acérée, tendue mais jamais mécanique, ainsi que l’interprétation d’une impeccable justesse de François Civil.

Le Nouvel Obs