Si vous ne supportez pas la voix nasillarde de Robert Allen Zimmerman, OK, ce film n’est pas pour vous. Mais c’est bien la seule raison valable de vous tenir à l’écart du film très réussi de James Mangold – déjà auteur d’un très bon Walk the line consacré à Johnny Cash. Et si par bonheur vous faites partie de celles et ceux qui ont, dans un coin de leur tête, ou même sur une vieille playlist, une des chansons inoubliables de Dylan – et il y en pas mal ! –, alors Un parfait inconnu va vous aller comme un gant. Et nous nous garderons bien d’oublier les fans innombrables de Timothée Chalamet : leur acteur favori livre une performance de très haute volée, interprétant lui-même les chansons du grand Bob !
Un parfait inconnu ne cherche pas à se poser comme le biopic ultime sur Dylan, version intégrale d’une carrière narrée du tout début à la toute fin (qui n’est d’ailleurs pas écrite !). Le scénario se concentre intelligemment sur cinq années charnières de la vie du seul auteur-compositeur-interprète auréolé d’un Prix Nobel de littérature. Même si on se fout des récompenses et des breloques, ça vous pose quand même un songwriter !
Oui, quand on y réfléchit deux secondes, Dylan, c’est un peu un Shakespeare, ou un Hugo, un chroniqueur poète réfractaire, baladin d’une époque révolutionnaire. New York, 1961. Alors que la scène musicale est en pleine effervescence et que la société est en proie à des bouleversements considérables, un énigmatique jeune homme de dix-neuf ans débarque du Minnesota avec pour seuls bagages sa guitare, son sac à dos et son talent hors normes… mais pour l’instant parfaitement ignoré. Le jeune Bob a appris l’hospitalisation de son idole, Woody Guthrie, et a immédiatement décidé de lui rendre visite. À peine arrivé à l’hôpital, il tombe sur une autre légende du folk, Pete Seeger – formidablement interprété par Edward Norton –, qui est au chevet de son ami Woody. C’est LA rencontre qui va définitivement bouleverser le destin du parfait inconnu, Seeger étant immédiatement convaincu d’avoir affaire à un artiste exceptionnel.
Le film se concentre donc sur les cinq années de l’ascension fulgurante de Dylan et sur les rencontres décisives avec des musiciens légendaires de Greenwich Village : Joan Baez, Johnny Cash… avec en point d’orgue une performance révolutionnaire et controversée qui créera une onde de choc dans le monde entier…
Ce qui intéresse aussi le cinéaste, c’est le contexte historique, politique, social, culturel, d’une époque traversée par des crises majeures – missiles nucléaires à Cuba, assassinat de JFK, contestation de la guerre du Vietnam, lutte pour les droits civiques – qu’il utilise parfaitement comme toile de fond pour mettre en scène les questions intimes soulevées par le récit, comme celle du génie inné propre à certains artistes, et le fait que le talent – source de joie immense comme de détresse profonde – peut aussi bien vous propulser en haut de l’affiche que vous couper du monde.
Jay Cocks et James Mangold explorent cette genèse de l’artiste Dylan à travers le prisme des autres, qu’il s’agisse de ses proches ou même de ses fans. Tous projettent leurs propres aspirations sur cet énigmatique prodige. C’est ainsi que nous voyons le musicien se débattre sous le poids d’attentes démesurées, jusqu’à ce qu’il finisse par s’en libérer. Le titre reflète l’intention du réalisateur d’éviter les explications psychologiques simples à propos d’un créateur qui a su échapper à toute définition six décennies durant. James Mangold nous invite plutôt à tirer nos propres conclusions, en faisant appel aux chansons géniales, intemporelles et profondément personnelles, de Bob Dylan.
Utopia